Leapfrog

«Là où il y a du chêne, il y a du plaisir» : vieux proverbe d'Islay.

C'est au détour d'une route embrumée serpentant parmi les ruines du donjon de Loch Hummeinn, traquée par les goules moribondes de la crypte de MacAbann O'Kanhedda que nous avons poussé la porte grinçante de l'auberge du pendu... Bon, même le dernier des rednecks de l'Alabama ne donnerait pas deux kopecks de crédit à ce récit clafis des clichetons les plus éculés !!

La rencontre avec le Leapfrog tient en fait de l'achat impulsif au camelot des Galeries Lafayette, voire du coup de foudre ou de la conversion mystique. Merci et Slainte à ce commerçant écossais qui fit découvrir à Laurent dans une échoppe d'Inveraray ce malt tout droit sorti des Limbes Hébridiennes.

Il aura fallu une dégustation «fissa sur le fût» pour délier les aiguillettes de sa bourse à mon collègue.

Tel St Patrick apportant le Saint Secret de l'alambic aux gaëls irlandais, mon coreligionnaire me met dans les bras un flacon dont la présentation soignée le dispute à une couleur d'un or pâle prometteur.

Après quelques chinoiseries gobées avec empressement, nous nous mettons en quête des arômes cachés de ce Single Malt d'Islay. Pour la petite histoire le Leapfrog se présente comme un malt dissident d'une grande unité de production d'Allied Distillers. Contraint par la loi de ne point citer sa source de malt (sacrebleu !! Promettez-moi de ne pas répéter qu'il est un avatar underground de Laphroaig !!!), le savant-créateur de cet authentique malt, Murray McDavid, compare son ostracisme à la lutte contre McGoliath, ce qui en dit long sur la contamination des Îles Britanniques par le syndrome mégacéphalien appelé la Alaindelonite aiguë...

Certes, Allied Distillers est une «world company» doté d'appuis léonins dans les lobbies whiskeux et les petits poucets tels M. McDavid n'ont que les miettes du gâteau de malt pour gagner leur pain quotidien à la sueur des alambics. Mais, malgré un amour de soi et de son art bien excusable, McDavid nous régale d'un malt rare, version non-nommée du surpuissant navire amiral Islay, sa majesté des Tourbes, Sir Laphroaig, mais vieillie 12 ans en fût de Bourbon, ce qui a pour effet de favoriser l'apparition d'autres arômes que l'iode, la terre de bruyère ou la fumée.

	La faune d'Islay

C'est peu dire que d'appeler une claque marine l'effet du premier verre siroté avec mon collègue : comme dirait John Wayne, «tous en sel !!!»... Quelle saveur !! Quel piquant sur la langue ! On imagine que le capitaine Haddock tomberait en pâmoison devant une telle bouteille de loup de mer ! Marin, oui-da ! mais point de flibuste ! Ce malt devient vite à la première houle un remontant fraternel, un compagnon de traversée vers les mers du sud ! Son esprit rebelle évoque les corsaires du roi et les boucaniers des Antilles. Son iode vous met aux fers des plus lourds cap-horniers et vous scotche à la barre d'un clipper dans la tourmente... Mais toute invitation au voyage, même forcée, offre sa récompense : une bouchée de Leapfrog vous promet les rivages azurés des caraïbes par la plus douce des surprises... Des notes de fruits (prune, noisette) et cet unique sensation de lait de coco (authentique) qui pousserait Rackham dans les bras de Long John Silver, qui inciterait même, c'est certain, Kersauzon et Pajot à un PACS bretonnant (mon grand-père disait toujours : «Dans la marine, pas d'homos !!! que des hommes qui s'aiment !!!»), on se plairait presque à imaginer Herman Melville courtisant Moby Dick !!...

C'est un peu de la magie expliquée au profane que nous expose Murray McDavid ici : Comment changer par un simple vieillissement les feux de la tourbe par la douceur de fruits et de fleurs, comment troquer la fumée goudronneuse des «smoking kilns» par un baiser de vahiné sucré et chaud... L'explication est simple : 12 ans de vieillissement en fût de Bourbon, parfait édulcorant capable de faire passer les Waterboys pour la Compagnie Créole !

On soupçonne aussi peut-être le Démiurge d'une telle œuvre d'utiliser une eau beaucoup plus neutre que Laphroaig pour la réduction du degré d'alcool avant la mise en bouteille. Mais, chaque trésor a ses fines arcanes et nous laisseront à ce mutiné de génie les clés de son coffre et le soin de jouir de son secret sous les cieux les plus cléments ! Bon vent, l'Artist !

Arnaud
Ce soir-là...