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• [Auto-stop]
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C'est à Livingstone (Zambie) que s'est réveillé en moi le plaisir de l'auto stop, en sommeil depuis des années. S'il est parfois requis de partager les frais d'essence, le stop joint l'utile à l'agréable : déplacements rapides là où les transports publics font défaut, rencontres inattendues et toujours intéressantes. En effet, comme en Europe, les automobilistes qui accueillent à leur bord un voyageur inconnu ne dédaignent pas la conversation. Une ombre a plané sur la fin de mon voyage : La date convenue avec nos potes masai pour leur rendre visite dans leur village mettait en péril ma viste du cratère du Ngorongoro. Mon optimisme me poussait à ne pas voir que j'allais probablement être dans l'impossibilité de réaliser cette étape (la seule pourtant prévue à l'avance). La prise de conscience a été brutale. A Arusha, ce samedi 7 juillet en fin d'après-midi, je me lève soudain de la table à laquelle nous étions installés, Mike et moi-même, annonçant : "Le Ngorongoro, ça ne peut être que demain. Il faut que je parte tout de suite !" Mike fait une grimace et me rappelle : "Nous avons rendez-vous chez les Masai lundi matin très tôt..." Les forces de suggestion étaient déjà en marche pour que je lui réponde, très sûr de moi "J'y serai". "Et comment comptes-tu t'y rendre ?" la réponse ne s'est pas fait attendre : "En stop. Je file à l'hôtel préparer mon sac !". Mike est un type très sage. Il a respecté mon choix mais je pouvais lire sur son visage qu'il doutait de la faisabilité de l'affaire. La nuit était proche, le cratère distant de plus de 100 km dont un tiers de piste défoncée... Bien sûr je n'avais encore rien booké pour le safari (voiture, guide) mais l'excitation de l'aventure me poussait en avant. Il s'agissait d'abord d'atteindre Mto-Wa-Mbu, au pied du cratère. Après, je verrai bien... "Tu ne finis pas ta bière ?" me demande Mike. Il passera me prendre à l'hôtel et me déposera sur la route à la sortie de la ville, juste avant un dernier "Good luck !". Il fait déjà un peu sombre, le soleil est couché, les gens du village doivent se demander quel est cet énergumène qui attend au bord de la route presque déserte. Un jeune homme sympathique viendra me tenir compagnie et j'aurai les plus grandes difficultés à lui expliquer sans le froisser que s'il reste près de moi, mes "clients" potentiels penseront que nous sommes deux, limitant ainsi les chances... Lui aussi me souhaitera bonne chance. Je vais en avoir besoin car s'il y a de nombreux véhicules rentrant à Arusha, très peu en sortent à cette heure de la journée... Après 20 minutes d'attente infructueuse, mon nouvel ami reviendra me voir encore une fois pour corriger mon style : en Tanzanie, lever le pouce risque seulement de provoquer une réponse identique qui signifie "Ça va ? Ouais, super !" Je le remercie. Je me sens un peu ridicule. La nuit tombe et mon appareil de mesure de ma folie interne est sur le point de passer au rouge, signal de l'abandon. Quand on commence à se faire de mauvais films, la patience et la bonne humeur nécessaires au stop s'émoussent, fondent comme neige au soleil. Je commence déjà à envisager une autre attente dans l'autre sens (où les véhicules se sont également faits rares). Bref ça commence à ressembler à une galère. Un pickup surchargé surgit alors, freine brutalement et s'arrête. Le vent tourne, je sens une grosse chaleur. Je me précipite et jauge le tableau en une seconde : 3 personnes à l'avant, 9 dans la remorque, entassés avec des bagages. Avec moi ça fera 13. Le lift pour Makuyuni est vite négocié, 1 000 shillings (10 F) en marchandant quand même un peu, normal :) Je saute dans la remorque. C'est parti. Je ne ferai pas demi tour, c'est certain maintenant. Par chance, un des hommes de la remorque parle bien anglais et une conversation animée commence pendant que la voiture s'enfonce dans la nuit en roulant à tombeau ouvert. Je me dis qu'à cette vitesse-là, j'arriverai vite à Makuyuni, où il faudra encore trouver un transport pour la piste de Mto-Wa-Mbu... Le ciel étoilé fait définitivement place au paysage dominé par le mont Meru. Chacun se tait, essaie d'oublier les membres déjà ankylosés par l'inconfort. Je garderai plus de trois jours une petite douleur aux reins suite à ce trajet car le pire (le meilleur ?) est à venir. C'est l'heure de la contemplation : je suis bien au chaud sous plusieurs couches de vêtements, les oreilles protégées du vent par mon super sweat-turban. Devant moi la Grande Ourse est magnifique, à la verticale Mars brille comme jamais, dans mon dos la Croix du Sud et à droite la pleine lune qui se lève ! C'est magique. Nous dévorons les kilomètres. C'est là que survient la panne, au milieu de nulle part... Je vois le capot s'ouvrir... Un aprenti-sorcier retire le bouchon du radiateur : Jets d'eau et de vapeur à la lueur des phares, c'est très beau mais un peu contrariant. La recette comme toujours est de rester cool, zen, confiant... Je fais passer ma gourde pour aider à refaire le plein d'eau. Plus d'une demi-heure s'écoule pendant laquelle on discute, on fume mes cigarettes, on mache mes chewing gums, je regarde les étoiles, je distingue les allées et venues de certains qui séloignent de la route pour revenir avec de l'eau... Pendant ces minutes calmes, j'apprends que la voiture va en fait jusqu'à Mto-Wa-Mbu ! A ce stade, c'est plus que de la chance. Je m'abonne donc pour 1 000 Tsh de plus et le moteur redémarre. Nous avons du mal à retrouver une position pas trop inconfortable. J'appréhende un peu la piste qui nous attend après Makuyuni... Nous y voilà. Je constate alors pour la première fois (et pas la dernière) que le pilotage est un sport national. Je me souviens avoir passé une heure assez intense : Tous les muscles bandés en prévision du prochain nid de poule qui nous fera valser sans prévenir. De temps en temps nous croisons un camion qui, lui aussi, fonce à travers la nuit. C'est le signal de l'apnée : je ne reprends ma respiration que lorsque notre véhicule est complètement sorti du nuage de poussière et d'oxyde de carbone. Bref, quand les étoiles redeviennent visibles :) Il devait être 21 h quand on m'a déposé à Mto-Wa-Mbu, petite pensée pour Mike qui semblait un peu inquiet en me quittant. Après avoir salué mes compagnons de pickup, je me suis installé à la première échoppe pour me restaurer. J'avais l'impression de planer. Une atmosphère très douce règne dans ce village dont le nom était dans ma tête depuis déjà plusieurs mois. C'est donc sans le moindre souci en tête que je déguste mes tortillas à la viande. Heureux d'être arrivé si facilement à bon port. Une fois rassasié, je papote avec mes voisins de terrasse et je commence à m'appercevoir que je ne suis pas au bout de mes peines... Je réalise qu'ici, on booke les safaris à l'avance, on réserve les voitures, les chauffeurs, les guides, le ravitaillement... Mon projet initial me paraît maintenant un peu simpliste, voir irréalisable : Aller en stop le lendemain matin à l'entrée du parc, taper l'incruste dans le premier 4x4 accueillant :). Et pourtant... je serai bel et bien dans une Land Rover à l'heure dite et à l'endroit voulu, et en bonne compagnie ! Mais ça, c'est une autre histoire... On est là pour parler d'auto stop, non ? Dimanche 8 juillet, Karatu, 18h30. Pas de panique, tout va bien, la journée a été extraordinaire. J'aimerais bien faire durer les sensations en me repassant mentalement le film du safari mais il faut assurer : demain matin, je dois être chez nos potes Masai avec Mike et Johan. La nuit ne va pas tarder à tomber. Mes compagnons de safari me souhaitent bonne chance. Demain, ils poursuivent le leur dans le parc du Serengeti pour quelques jours encore. Dans 5 minutes ils sont sous la douche... Je traverse Karatu pour me mettre à mon poste, à la sortie du village. Le sérieux de la situation m'envahit à nouveau : très peu de passage, plus beaucoup de lumière, je nage en plein voyage désorganisé. Mais ça me plaît :) On va bien voir ce qu'on va voir... C'est tout vu, la route est déserte. Je m'inquiète sérieusement. Cette journée avec les Masai, je l'attends depuis plus d'une semaine... Je la sens qui s'échappe... Deux jeunes du coin me tiennent compagnie. Ils vivent là depuis toujours, ils n'ont jamais mis les pieds à l'intérieur du cratère. Je leur raconte ce que j'ai vu. Ils ont des paroles rassurantes concernant le traffic routier : "Pas de problème, quelqu'un finira bien par s'arrêter". J'aimerais croire que ces mots ne sont pas pure politesse... Et ce qui devait arriver arriva (comme toujours). C'est une voiture de ville, pas du tout prévue pour la piste, qui s'arrête déjà pourvue de 4 occupants. Un gros monsieur à l'allure sympathique sort de la voiture pour me proposer de m'asseoir à l'arrière, entre lui et un autre du même gabarit "Nous allons à Arusha", dit-il. Je crois rêver. Le chauffeur aborde le sujet du prix, je sais que je ne vais pas marchander cette fois. On se met d'accord pour 1 000 Tsh quand mon voisin intervient : "Mais pas du tout. Vous êtes un étranger, vous êtes le bienvenu, nous vous transporterons gratuitement. Je suis officier de police, nous nous devons d'accueillir au mieux les touristes, etc...". C'est gentil de sa part mais l'ambiance est un peu morose : je crois qu'il a vexé le chauffeur avec sa démonstration d'autorité. Après une courte conversation, mes encombrants voisins finissent par s'endormir pendant que notre conducteur slalomme entre les nids de poules. Les amortisseurs sont à la torture. Les pneus sous-gonflés nous font prendre conscience de la présence des jantes qui cognent fréquemment le sol. Je pense aux pauvres pneus qui se font charcuter. L'issue du voyage ne fait pas de doute, il faudrait 4 roues de secours pour y arriver... Il fait nuit noire (la lune n'est pas encore levée), nous roulons lentement, je suis pris en sandwich. Je regrette presque le pickup de la veille. Je me concentre sur la musique diffusée par l'auto radio. Il s'en est passé des choses en 24 h ! Le chauffeur me sort de ma rêverie et casse la glace. Nous trouverons très vite des sujets de conversation intéressants. Lorsqu'il fera semblant de baisser la musique, je l'en empêcherai "Ne vous gênez pas pour moi, je vous en prie. J'aime votre musique". Et il remonte le volume avec un grand sourire. Ouf, ça redevient sympa. Une hyène traverse la piste dans la lumière des phares... Makuyuni ! enfin une route goudronnée, quel bonheur ! Encore une fois, la gentillesse et l'amabilité des locaux ont fait que cette étape est réussie. Une fois arrivés à Arusha, malgré mon insistance pour rejoindre mon hôtel à pied, ils feront un détour pour m'y déposer vers 22 h. Je me laisse enfin aller à penser que je ne suis vraiment pas raisonnable, que c'était risqué, que je fais n'importe quoi, bref toutes ces idées qui, lorsqu'on les laisse envahir la conscience, nous empêchent de faire ces choses qu'on ne regrette jamais :) |
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